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TINTIN EN AMERIQUE

"Quand la fiction rejoint l'histoire"

Conférence donnée à Chabeuil le 28/09/2008

Texte de Michel Bouillet

Introduction :


Les trois sources qui inspirèrent Hergé sont bien connues des tintinophiles avertis : Il s’agit du livre de Georges Duhamel, Scènes de la vie future, paru en 1930, du numéro du Crapouillot d’octobre 1930, intitulé Les Américains, avec un reportage sensationnel de Claude Blanchard et les articles du journal belge Le XXè Siècle, comme le souligne Éric Fournet dans Quand Hergé découvrait l’Amérique, paru en 1992.
Il est admis que l’Amérique de Tintin correspond à une vision subjective de ce pays de la part d’un jeune Belge catholique. Par conséquent, qu’il reprend les stéréotypes véhiculés au début des années 1930 par la presse écrite et le cinéma.
Cependant, on ne saurait s’en tenir à ce point de vue. La lecture attentive de l’album permet de retenir 42 éléments historiques au fil des planches. Des éléments, certes, interprétés par l’auteur et caricaturés dans le but d’obtenir un effet comique, mais bien réels et identifiables. Aussi, il semble nécessaire de se replonger dans la réalité de l’Amérique des années 1929 à 1932 pour les décrypter et tenter d’en expliquer l’interprétation d’Hergé.
L’Amérique de Tintin, une Amérique incomprise, entre amour et haine :

1°- Le choc de la Guerre de 1914-1918 :


Il est nécessaire de rappeler que les États-Unis sont entrés dans la Première Guerre Mondiale, comme pays « associé » des Alliés seulement en 1917, sur la base des buts de guerre affirmés par le Président Wilson dans ses fameux « Quatorze Points » qui servirent de bases aux négociations du traité de Versailles, que les vainqueurs imposèrent à l’Allemagne en 1919.
Les deux millions d’Américains mobilisés, dont 500.000 vinrent en Europe, apportèrent avec leur formidables matériels et leur logistique impeccable, le coup de rein final assurant la Victoire du 11 novembre 1918.
Ce contact brutal et massif produisit un choc majeur dans la mentalité des Européens comme des Américains.
Du côté américain, l’extrême sauvagerie de la guerre industrielle à la puissance de feu inimaginable, avec ses batailles gigantesques engloutissant des milliers d’hommes en quelques heures, voire quelques minutes, renvoyaient, en les multipliant aux souvenirs de la Civil War, la Guerre de Sécession, première guerre industrielle de l’histoire, achevée 46 ans auparavant. Elle laissait derrière elle les batailles faisant figures d’escarmouches des Guerres indiennes achevées depuis 1890 avec la bataille de Wounded Knee, 27 ans plus tôt.
Les raisons d’une telle boucherie parurent incompréhensibles aux citoyens de la vaste Amérique : Se massacrer pour quelques minuscules territoires comme l’Alsace-Lorraine, pour des haines entre voisins sur des espaces pas plus grands qu’un État moyen des États-Unis, voilà qui dépassait l’entendement. Ces Européens étaient bien des arriérés par rapport à nous, les Américains, qui avions compris depuis la fin de la Civil War, l’inanité de telles guerres. A côté de cela, les Européens – et principalement les Français - nous émerveillaient par leur culture, leur histoire, le souvenir de La Fayette, leurs monuments et leur douceur de vivre loin des champs de bataille.
Ce dernier sentiment était particulièrement vif chez les Noirs qui découvraient l’absence de discrimination raciale au feu comme à l’arrière.
Du côté européen, les yeux s’écarquillaient devant l’abondance du matériel de toutes sortes, la méticulosité de l’organisation logistique, la qualité exceptionnelle des hôpitaux de campagne et la richesse matérielle des Tommies : la solde d’un simple soldat américain équivalait à celle d’un colonel de l’Armée française !
Mais quelle suffisance ! Les camps américains constituaient de véritables villes à part. On ne se mélangeait pas n’importe quand, ni n’importe comment.
La fraternité d’armes masqua jusqu’à la Victoire ce mélange d’admiration et d’incompréhension réciproques.

2°- Une relation ambiguë :


Les années 1919-1923 furent décisives pour fixer cette ambiguïté qui se mua en relation d’amour-haine que l’on peut voir perdurer jusqu’à aujourd’hui.
Le traité de Versailles, avec sa Société Des Nations sans organe exécutif, ni force militaire, imposé par le démocrate Wilson, n’est finalement pas ratifié par le Congrès à majorité républicaine en novembre 1919. Avec cet acte, s’envolait la garantie américaine des frontières de la France et de la Belgique contre une agression éventuelle de la part d’une Allemagne revancharde que les Américains avaient systématiquement ménagée lors des négociations du traité. En fait, le système diplomatique wilsonien imposé aux vainqueurs s’effondrait !
Pour comble, cela n’empêcha pas la diplomatie américaine – poussée par son opinion publique – de réclamer le remboursement des dettes de guerre dues par les Alliés alors qu’elle ne cessait, au nom du réalisme économique, à imposer des concessions sur les réparations dues par l’Allemagne principalement à la France et à la Belgique ! Et cela juste au moment où la culture, l’économie et le mode de vie américains commençaient à séduire la jeunesse européenne !

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