Lire Tintin aujourd'hui: une affaire de double consentement
Envoyé par:
mik (Adresse IP journalisée)
Date: 11/08/21 12:Aug
On le sait, le grand Hergé lui-même jugeait les sciences humaines peu adaptées pour 'aller plus loin' dans l'exégèse de son Tintin: se cantonner à ces sciences-là pour tenter d'analyser et d'interpréter ce qu'il tenait tant à transmettre est donc pour le moins hasardeux et paradoxal (pour ne pas dire 'schizo').
'Tintin n'a pas encore livré tous ses secrets', confie le tintinologue averti, qui confie de plus au lecteur 'le soin de poursuivre plus loin l'exploration' de traduction entamée avec 'La Gazza Ladra', qui a permis à Tintin d'identifier une pie comme responsable du vol, dans 'Les 'Bijoux de la Castafiore'.
Les supposés secrets encore enfouis dans Tintin sont-ils une simple accroche publicitaire, ou sont-ils réels ? En tous cas, évoquer aussi explicitement l'existence de non-dits démontre qu'on est bien 'au courant' de quelque chose.
Mais pourquoi se défausser sur le lecteur lambda ? Risquerait-on quelque effet secondaire en s'impliquant personnellement ?
Hergé, quant à lui, a osé s'impliquer personnellement -à 72 ans- en admettant avoir eu recours à 'une martingale' pour créer Tintin. Et s'il n'a cessé de mettre le lecteur sur la piste de sa cryptographie oulipienne (donc pas totalement hors de portée des sciences humaines...), s'il a parlé d'un message incrusté dans Tintin, s'il a même prédit 'un autre moyen' que les sciences humaines pour lire Tintin à sa manière, s'il a permis que depuis deux décennies chacun de ses 6x4 albums révèle les dimensions de sa grille stéganographique, etc., c'est qu'il désirait vraiment que l'oeuvre où il avait 'mis toute sa vie' soit rendue publique, et cela intégralement. N'en déplaise à certains, le consentement d'Hergé est donc entièrement acquis.
Le consentement du lecteur est une toute autre histoire, raison pour laquelle la grille de lecture nécessaire à la compréhension du Tintin d'Hergé est 'réservée aux initiés' sur ce site... Certes, le grand Hergé n'impose rien au lecteur, si ce n'est son inouïe mais très clivante contrainte d'écriture et de dessin, dont les quatre systèmes cryptographiques sont pourtant dans le domaine public depuis des siècles, contrairement à son interview de janvier 1979, dans laquelle il indiquait sans doute un peu trop clairement la piste oulipienne de son secret, puisque le silence est désormais imposé sur ce document 'martingalérien' à l'INA.
Mais au final, la petitesse de cette déplorable péripétie est bien peu de chose face à la grandeur d'Hergé et à ce qu'il 'avait à dire' via son Tintin, qu'il comparait à un 'canon de 75' utilisé pour 'tuer une mouche'. Un système à la fois très simple et très compliqué, mais un système 'enfantin', comme il le qualifiait lui-même. Ce qui n'ôte rien à sa grandeur.
La fonction de la tintinologie est d'instruire le lecteur, de le faire réfléchir, et surtout de le distraire, mais certainement pas dans le sens de brouiller et parasiter 'à la Dupondt' les pistes qui pourraient le mener au Tintin d'Hergé, comme certaines contre-vérités crasses assénées avec un aplomb des plus culottés (voir posts sur ce site), ou des gloses frappées de psittacisme (souvent) et de surdité (toujours), peut-être avec l'idée d'incarner ainsi les proches de Tintin ? Quant au reporter, son 'testament' et la grille qui en permet la lecture (annoncés dans 'Soviets', p.49-B1 des éditions N+B récentes, ou p.45-B1 de l'édition colorisée) ne semblent susciter qu'indifférence ...à moins qu'il s'agisse de honte et de dégoût.
En résumé, et en mots du XXIe siècle, une 'cancel culture' d'un autre âge empêche encore la 'libération de la parole' du grand maître de la ligne claire.
Le respect de la grandeur d'Hergé semble être à ce prix: faire l'impasse sur ses dénonciations et sa vendetta, pourtant minutieusement orchestrées afin d'être 'traduites' un jour comme la 'Gazza Ladra', et cela bien après sa disparition.